LE FOULARD ISLAMIQUE OU LA PEAU DE CHAGRIN DES CAUSES DE LICENCIEMENT
Par CM&B AVOCATS.
Nouvelle affaire du « foulard islamique » : la Cour de cassation restreint considérablement les possibilités de licenciement.
Cass. Soc. 22 novembre 2017 n°13-19.855
La Cour d’Appel de Paris, par un arrêt du 18 avril 2013, avait jugé licite le licenciement d’une femme refusant d’ôter son voile islamique lorsqu’elle se trouvait en contact avec la clientèle.
Elle confirmait une décision du Conseil de Prud’hommes de Paris, qui avait relevé dans sa décision que la salariée, ingénieur informaticienne, avait été avertie dès son embauche que si le port du voile ne posait aucune difficulté au sein de l’entreprise, elle devrait l’enlever en clientèle, ce que la salarié avait accepté.
La Cour avait considéré que la restriction apportée à la liberté de la salariée de manifester ses convictions religieuses était proportionnée au but recherché puisque seulement limitée aux contacts avec la clientèle.
Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui, sur ce sujet sensible, à saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle tendant à interpréter la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000, article 2 paragraphe 2, a).
Cette directive porte création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, et a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre les discriminations fondées entre autres sur la religion.
« Les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement, ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. »
La France a intégré cette disposition à son article L1121-1 du code du travail en ces termes :
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » ;
mais encore à l’article L1133-1 du code du travail :
« L’article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. »
La question posée à la CJUE était de savoir si la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits d’un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique pouvait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la Directive.
La CJUE répondait le 14 mars 2017 (aff. 188/15) que « l’exigence professionnelle nécessaire et déterminante ne peut reposer sur des considérations subjectives telles que le souhait discriminatoire d’un client. »
Elle précise que le juge doit apprécier s’il eût été possible à l’employeur, face à un tel refus, de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.
La Cour n’exclue donc pas la possibilité de licencier un salarié, certes dans d’autres circonstances, mais en l’absence de règlement intérieur.
La Cour de cassation le 22 novembre 2017, se fondant sur l’avis de la CJUE casse la décision de la CA de Paris :
La décision n’est donc pas surprenant au regard de l’avis susvisé, mais ce qui l’est plus est qu’elle prend l’initiative de préciser et de restreindre la possibilité de licencier dans de pareilles circonstances.
Les enseignements de cet arrêt sont les suivants :
1 L’employeur peut prévoir dans son règlement intérieur (ou une note de service considérée comme une adjonction à celui-ci), une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail à condition que cette clause soit générale et indifférenciée.
A contrario, en l’absence d’une telle disposition le licenciement est purement et simplement impossible… Un règlement intérieur n’étant rendu obligatoire que dans les entreprises de 20 salariés, cet arrêt prohiberait de fait un licenciement dans les petites entreprises.
Nb : La loi Travail du 8.8.2016 avait créé un article L.1321-2-1 autorisant le règlement intérieur à contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés.
2 L’obligation doit être limitée aux salariés en contact avec la clientèle :
Une telle obligation doit être générale et indifférenciée et n’être appliquée qu’aux salariés en contact avec les clients.
3 Face au refus du salarié, l’employeur doit chercher une solution de reclassement :
Il doit en effet rechercher si un poste sans contact visuel avec ces clients est possible. La Cour de cassation fait ici application de l’avis de la CJUE.
En conclusion :
Les possibilités de licenciement sont désormais largement limitées compte tenu de l’obligation d’insertion au sein du règlement intérieur de la clause de neutralité.
La Cour de cassation a fait le choix de restreindre considérablement le champ d’application de cette clause en la réservant aux seuls salariés en contact avec la clientèle.
La dernière restriction est la création d’une nouvelle « obligation de reclassement » à la charge de l’employeur en cas de refus du salarié de se soumettre à cette disposition, quand bien même sa mise en œuvre serait parfaitement légitime, et répondrait à une exigence professionnelle nécessaire et déterminante…
Nicolas SONNET
Avocat Associé
Cabinet CM&B AVOCATS
Barreau de TOURS